Sujet 3: L'invariant J

Rédacteur: Lucia Camenisch

A traiter

  • Définition
  • Théorème 2.19 avec preuve
  • Cas spéciaux, automorphismes supplémentaires
  • Cas des corps non-algébriquement clos
  • Bijection définie par l'invariant \(J\)

Notations

Dans cet article, \(K\) désignera un corps de caractéristique différente de \( 2 \) ou \( 3 \) et \( E \) désignera la courbe elliptique de discriminant non-nul définie par \( y^2=x^3+Ax+B \) avec \( A \) et \( B \) dans \( K \).

Courbes isomorphes

Soient donc \(K\) et \( E \) comme ci-dessus.

Soit \( \mu \in \overline{K}^\times \). Posons:

\( \tilde{x} = \mu^2x \)

\( \tilde{y} = \mu^3y \)

L'équation de \( E \) devient: \( \frac{{\tilde{y}}^2}{\mu^6} = \frac{{\tilde{x}}^3}{\mu^6} + A\frac{\tilde{x}}{\mu^2} +B \Longleftrightarrow \tilde{y}^2=\tilde{x}^3+\mu^4A\tilde{x}+\mu^6B \)

En définissant:

\( \tilde{A}= \mu^4A \)

\( \tilde{B}= \mu^6B \)

Nous avons obtenu une nouvelle équation de courbe elliptique \( \tilde{E} \) dans \( \overline{K}\):

\( \tilde{y}^2=\tilde{x}^3+A\tilde{x}+B \)

Définition: \( E \) et \( \tilde{E} \) sont dites isomorphes dans \( \overline{K}\) s'il existe \( \mu \) comme ci-dessus permettant de passer d'une courbe à l'autre.

Invariant \( J \)

Définition: L'invariant \( J \) de \( E \) est \( J = J(E) = 1728 \frac{4A^3}{4A^3+27B^2}\)

\( J \) est bien défini car \(-(4A^3+27B^2)\) est le discriminant de la courbe, supposé non-nul.

De plus, \( J\) est invariant par l'isomorphisme de courbe défini ci-dessus:

\( J(\tilde{E}) = 1728 \frac{4\tilde{A}^3}{4\tilde{A}^3+27\tilde{B}^2} = 1728 \frac{4\mu^{12}A^3}{4\mu^{12}A^3+27\mu^{12}B^2} = 1728 \frac{4A^3}{4A^3+27B^2} = J(E)\)

Théorème

Théorème: Soient \( E_1 \), \( E_2 \) deux courbes elliptiques et \( y_i^2=x_i^3+A_i x_i +B_i \) leurs équations respectives avec \( i=1,2 \). Si \( J_1=J_2 \), il existe \( \mu \in \overline{K}^\times \) tel que

\( A_2=\mu^4A_1 \)

\( B_2=\mu^6B_1 \)

Autrement dit, \( E_1\) et \( E_2\) sont isomorphes et \(\mu\) permet de passer d'une équation à l'autre.

Démonstration:

Supposons que \( A_1 \neq 0\). Alors:

\( A_1 \neq 0 \Longrightarrow J_1 \neq 0 \Longrightarrow J_2 \neq 0 \Longrightarrow\ A_2 \neq 0\)

Donc, il existe \( \mu \in \overline{K}^\times \) tel que \( A_2 = \mu^4 A_1\).

Ainsi:

\( \frac{4A_2^3}{4A_2^3+27B_2^2} = \frac{4A_1^3}{4A_1^3+27B_1^2} = \frac{4\mu^{-12}A_2^3}{4\mu^{-12}A_2^3+27B_1^2} = \frac{4A_2^3}{4A_2^3+27\mu^{12}B_1^2}\)

Le fait que \( J_1=J_2\) nous donne la première égalité. Pour avoir la deuxième égalité, il faut remplacer en utilisant \( A_2 = \mu^4 A_1\).

Nous pouvons donc déduire:

\( B_2^2= \mu^{12} B_1^2 \Longleftrightarrow B_2 = \pm \mu^6B_1\)

Si \( B_2 = \mu^6B_1\), la preuve est terminée.

Si \( B_2 = -\mu^6B_1\), en posant \( \tilde{\mu} = i\mu \), nous obtenons \( A_2=\tilde{\mu}^4A_1 \) et \( B_2=\tilde{\mu}^6B_1 \), ce qui conclut la démonstration.

Reste à voir le cas \( A_1 = 0\).

Alors, \( J_1 =J_2 =A_2 = 0\) comme avant.

Les discriminants de \( E_1 \) et \( E_2 \) étant non nuls, il faut que \( B_1 \) et \( B_2 \) soient non nuls.

Ainsi, il existe \( \mu \in \overline{K}^\times \) tel que \( B_2 = \mu^6 B_1\).

Trivialement, nous aurons également \( A_2 = \mu^4 A_1\). \( \blacksquare \)

Remarque: Lorsque l'on cherche \( \mu \in \overline{K}^\times \) tel que le théorème soit vrai, nous devons passer à la cloture algébrique car il faut résoudre des équations en utilisant possiblement des racines. Le théorème est faux si l'on se restreint à \( K \) comme valeurs possibles de \( \mu \).

Automorphismes supplémentaires

Les courbes elliptiques étudiées ici possèdent toutes un automorphisme non trivial:

\( (x,y) \longmapsto (x,-y)\)

De plus, si \( J \) prend certaines valeurs, nous avons des automorphismes supplémentaires.

Si \( J=0\), nous avons \( A=0\) et donc l'équation de \( E\) devient \( y^2=x^3+B\). Il y a dans ce cas deux automorphismes:

\( (x,y) \longmapsto (e^{i\frac{2\pi}{3}}x,y)\)

\( (x,y) \longmapsto (e^{i\frac{4\pi}{3}}x,y)\)

Si \( J=1728\), nous avons \( B=0\) et donc l'équation de \( E\) devient \( y^2=x^3+Ax\). Il y a dans ce cas un automorphisme:

\( (x,y) \longmapsto (-x,iy)\)

Il est facile de vérifier en remplaçant dans l'équation de \( E\) que ce sont bien des automorphismes.

Corps non algébriquement clos

Prenons deux courbes sur un corps non algébriquement clos. Il est possible qu'elles aient le même invariant \( J \), mais elle ne seront pas nécessairement isomorphes sur \( K \). En effet, le théorème indique que \( \mu \in \overline{K}^\times \) et cela garantit donc uniquement un isomorphisme sur \( \overline{K} \).

Bijection définie par \(J\)

Soit \(J \in K\). Nous définissons la courbe elliptique \(E_J\) comme suit:

\( y^2=x^3+\frac{3J}{1728-J}x+ \frac{2J}{1728-J} \)

En utilisant la définition de l'invariant \(J\), nous pouvons vérifier que l'invariant de cette courbe est bien égal à \(J\).

Donc, à chaque élément de \(K\) correspond une classe de courbes elliptiques définies à isomorphisme près sur \(\overline{K}\).

Cela induit ainsi une bijection entre \(K\) et les classes de courbes elliptiques sur \(K\).

Références

[1] Lawrence C. Washington, Elliptic Curves: Number Theory and Cryptography, Section 2.7.